Publié dans l'Humanité Dimanche (22/28 août)
Pas facile de rendre visite en ce moment à Vincent Beretti. Ce jeune homme chaleureux de 32 ans n’a pas beaucoup de temps à consacrer aux visiteurs. Il surveille les pluies annoncées et son foin à rentrer, prépare le transfert de ses vaches vers le Cuscione : une vaste étendue de pozzines (trous d’eau reliés par des canaux naturels) et de pâturages au dessus de Quenza, où elles resteront jusqu’à la mi octobre. Il lui faut aussi alimenter et surveiller ses cochons. De longues heures, pour un travail dur. Très dur.
A Zonza, Vincent a sa méthode. Mais chaque vallée affiche son propre savoir-faire. Traditionnellement, la charcuterie se fabrique partout en Corse mais seulement dans les régions d’altitude moyenne au sein des biotopes de chênes verts et de châtaigniers. Dans ces micros régions, à chaque vallée son originalité. Certaines charcuteries présentent de grandes variations d’ingrédients, de techniques, de mise en œuvre d’un village à l’autre. Ces différences sont particulièrement sensibles entre la Corse du nord et la Corse du sud : aussi bien dans les ingrédients que dans les variations de temps de fumage.
« Venez vers 9 heures, il ne fera pas encore trop chaud ». Le domaine agricole de Vincent Beretti court sur 90 hectares à proximité de Zonza (Corse du Sud) au carrefour de l’Alta Rocca pas très loin de l’hippodrome le plus haut d’Europe et de la perle de la montagne, les aiguilles de Bavella.
Au milieu du domaine, en grimpant raide, voici la chapelle Santa Barba qui accueille chaque année deux processions en février et en décembre. Un peu plus loin plusieurs dizaines de cochons en liberté ne nous prêtent aucune attention. Soudain, Vincent lance un long cri et commence à vider le sac de maïs. C’est la ruée. Les cochons corses – les vrais – sont de race « nustrale » et leur propriétaire n’est pas peu fière de nous les présenter et de se féliciter qu’enfin l’appellation d’origine contrôlée (AOC) ait été accordée au cochon corse. Pour cela, « il a fallu batailler » et le président des jeunes agriculteurs de Sartène, Alta Rocca et Valinco précise que le vrai cochon corse représente seulement 8% de la charcuterie corse. « On ne fait pas de la charcuterie corse avec un âne venu du Brésil ou du porc breton », soupire Vincent qui prépare son futur atelier de transformation pour produire dans un proche avenir.
La traçabilité était une revendication des petits éleveurs qui ont remporté une grande victoire. La Corse est la première région à bénéficier de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) de charcuterie sèche, la reconnaissance de la race porcu nustrale datant de 2005.
L’étiquette AOC, c’est d’abord une véritable traçabilité pour le consommateur et le début de la fin d’une hérésie. Celle qui consiste à faire venir des carcasses de porc des quatre coins de l’Europe de l’Est et d’ailleurs. Avant d’estampiller « charcuterie corse » du travail de cochon, ironisait récemment « Corse Matin ». Les centaines de milliers de touristes qui débarquent chaque année dans l’île ne peuvent prétendre manger de la véritable charcuterie corse. Impossible de répondre à la demande. Ils ont droit pourtant qu’on leur précise : « Le porc vient d’ailleurs mais nous le transformons, selon nos propres méthodes ».
Il ne faut pas mélanger les genres. Il y a le haut de gamme fait d’histoire, de nature, de temps, de tradition, d’alimentation et l’industriel. La différence saute au palais. Le prix aussi. Le travail, le temps passé, la maîtrise du savoir-faire font la différence. Cela se remarque à la présentation de la note.
Désormais, la Corse vise l’Europe puisque la charcuterie décrochera bientôt le label continental d’origine protégée (AOP). Ce jour là, les éleveurs du véritable porc corse feront sauter le bouchon de la bouteille d’un des meilleurs vins de la région de Sartène. En sortant de la réserve un jambon ou un saucisson à baver de plaisir.
Qu’exige le cochon corse ? Avant tout la liberté. Que demande-t-il ? Une nourriture de qualité fait de glands, de châtaignes, d’herbe. 45 jours avant l’abatage et pendant toute la période de finition, il sera interdit de maïs et aura droit à un peu d’orge complémentaire. L’organisation du travail ne relève pas du n’importe quoi. La règle, c’est la répartition des tâches en deux catégories : les éleveurs qui fournissent les reproducteurs et les engraisseurs et transformateurs.
Le porc ne peut être tué avant l’âge de douze mois. Un peu plus vieux mais pas trop, il donnera une charcuterie exceptionnelle. Lorsque Vincent aura obtenu tous les agréments, il enverra ses cochons à l’abattoir, les récupérera découpés et se chargera lui même de la transformation et de l’affinage. Il perpétue ainsi une production ancestrale des régions corses de l’intérieur. Autrefois, c’était une production vivrière qui permettait de consommer de la viande de porc en été en utilisant le salage comme technique de conservation. C’est devenu aujourd’hui un produit du patrimoine, au même titre que les paysages ou les chants corses traditionnels.
Les porcs corses sont élevés en plein air et valorisent ainsi les ressources naturelles du milieu montagneux. Cette race nustrale, grâce à ses qualités génétiques de gras, son alimentation naturelle et sa finition à la châtaigne et aux glands de chênes, procure une matière première incomparable pour une fabrication charcutière de grande qualité. La fabrication est réalisée sans additif autre que le sel et le poivre. Les méthodes traditionnelles de séchage et d’affinage, long et précis, confèrent à cette charcuterie les qualités qui on fait sa renommée. Son goût, sa texture, la couleur des jambons sont bien différents des autres.
C’est cette tradition que Vincent Berreti tente de perpétuer. Lui et ses amis producteurs symbolisent le courage, l’intelligence et les connaissances des jeunes corses engagés dans la diversification de l’économie insulaire et dans le respect de la qualité des productions. A l’opposé des clichés et des légendes, l’Ile de Beauté c’est aussi et surtout cela.
José Fort