Un article publié dans l'Humanité Dimanche
« Et si on allait déjeuner ? ». Wolinski, en pleine promotion d’un livre et d’une expo (1), n’en peut plus des interviews, des radios, des télés, des magazines. Il ne crache pas
dans la soupe (faut bien vivre) mais un type de « l’Huma » qu’il connaît depuis trente ans ne va pas lui faire le coup : « Alors M. Wolinski, vous aimez toujours les femmes,
alors M. Wolinski, vous êtes de droite, de gauche, du centre. C’est quoi l’humour, vous vieillissez comment… ?» Georges invite.
Généralement, c’est le mec ou la fille de la télé, du journal qui règle la note pour passer une heure avec l’artiste. Georges sort sa carte bleue et file quelques dessins à son pote de l’HD.
« Faut aider les pauvres », rigole-t-il. Bref, si on déjeunait.
« Mon gendre m’a conseillé un restaurant original. Je ne me souviens pas de l’adresse ». Nous voilà mal parti sauf que Georges sort son téléphone portable et active le numéro de son
gendre. Depuis le désert éthiopien, le compagnon de sa fille, gentil garçon en plein raid, glisse: « rue de Belleville au numéro… » Sympa, le gendre.
Nous voilà démarrant le déjeuner avec celui qui écrit dans son bouquin « un humoriste, c’est quelqu’un qui, après avoir bien réfléchi, s’arrête de réfléchir », qui affirme que
« la justesse du trait est le fruit d’un long travail et d’une longue maturité, comme l’écriture » et qui « à cinquante ans a décidé d’arrêter de vieillir ».
Dans son bouquin, Wolinski publie de nombreux dessins. Certains sont connus, d’autres moins. Le plus est dans le texte. Georges, cette fois, se raconte : sa jeunesse, ses amis,
ses amours, ses copains (les vrais), ses voyages, sa femme, Hara-Kiri, Charly mensuel, ses ronchonnements, ses émotions… ses adieux. Comme un testament. Il en rajoute le Georges au moment où se
tient à la bibliothèque nationale de France (BnF) et jusqu’au 2 septembre une rétrospective de son œuvre à travers, précise l’organisateur, « un choix de plusieurs centaines de pièces,
l’occasion de parcourir 50 ans de carrière d’un artiste réputé pour son humour tendre et provocateur ». L’auteur aurait pu ajouter (mais le connaît-il suffisamment ?) un artiste d’une
sensibilité extrême, d’une générosité discrète, d’un humoriste à la pensée aigue, dessinant les femmes qu’il ne se contente pas d’aimer mais dont il défend bec et ongles tous les droits
restant à conquérir.
Un peu cabot, quand même, le Georges. Près de notre table une jeune femme lui adresse un grand sourire. « Je suis une de vos fidèles », lui lance-t-elle, avant d’obtenir un autographe
ciblé et quelques amabilités. « T’es célèbre », lui dis-je. « Quelqu’un de connu », réplique-t-il, « c’est quelqu’un dont on remarque la présence, quelqu’un de
célèbre, c’est quelqu’un dont on remarque l’absence. » Fermez le ban.
Wolinski vient de loin. Fils de juif tunisien. Rapatrié vers le Nord froid et gris au moment de la décolonisation. Service militaire à Reggane, le centre d’essai de la bombe atomique française.
Il aurait pu succéder à son beau-père et à sa boutique celui que son instituteur notait « d’intelligence moyenne mais d’un esprit vif » et qui rêvait de devenir « architecte
ou médecin de marine. » Il a suivi – heureusement – un autre chemin. Après deux ans aux Beaux Arts et alors que Cavana affirme que « Wolinski, on croit que tu es con, parce que tu fais
le con, mais c’est faux : tu es vraiment con», Wolinski décoré par Chirac de la Légion d’honneur laisse passer son regard sur les évolutions de la société. Dans son bouquin, il y a les
pensées du « maître », comme le qualifiait Sarkozy un jour de remise de médailles ajoutant doucement à son oreille : « C’est mieux maintenant, n’est-ce pas ? »
Cet été, on peut lire et redécouvrir Wolinski. « Jeune, j’aimais dessiner. Je ne savais pas que c’était un métier. »
José Fort
(1)
- Le pire a de l’avenir. Editions Cherche Midi. 900 pages. 23,90 E
- 50 ans de dessins à la Bibliothèque nationale de France. Du 29 juin au 2 septembre (entrée libre) Métro : Quai de la gare.