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3 septembre 2022 6 03 /09 /septembre /2022 07:27

 

Souvenir

 

 

La rage

 

 

Après le décès de mon père, nous vivions  - ma sœur, ma grand-mère et moi - très modestement des seuls  revenus de ma mère, vendeuse dans un grand magasin parisien. Modestement, mais dignement, ma mère se saignant pour  que ses deux enfants puissent étudier et se nourrir correctement, elle qui sautait souvent des repas.

 

Vivant en banlieue, j’avais été admis dans un prestigieux lycée parisien. J’étais en 5 eme lorsqu’un jour le proviseur me fait appeler. Dans son bureau, fort aimable, il me dit connaître les difficultés financières de ma famille et m’invite à une après-midi organisée par une œuvre de charité animée par son épouse.

Le jour dit, je me suis présenté dans une salle municipale proche du lycée. Sous les guirlandes bariolées, il y avait des tables couvertes de friandises, de sandwichs, de bouteilles de limonade et des vêtements élimés rassemblés par les dames emperlousées animant la cérémonie. J’étais le seul lycéen, les autres enfants rappliquaient des quartiers de l’est parisien.

 

J’ai le souvenir de femmes grasses et très maquillées, aux rires sonores, à la compassion mielleuse. Elles nous passaient les mains dans les cheveux multipliant les «  mon pauvre petit », « mange un gâteau, tu dois avoir faim ». Les dames patronnesses ont chanté. Au fond de la salle, le proviseur, rosi d’aise près de sa bouteille, me lançait des œillades, satisfait visiblement de me voir là.

 

Elles ont fini de chanter. Après un dernier tour de limonade et quelques friandises, le grand moment est arrivé sous le flash d’un photographe chargé de couvrir l’événement: la remise à chaque enfant d’un paquet de vêtements.

 

J’ai eu droit au mien puis raccompagné vers la porte en passant devant une cuisine où des bouteilles de champagne droites dans leurs seaux à glace attendaient de régaler nos bienfaitrices.

 

J’ai pris le métro les larmes aux yeux de honte et de rage. J’ai jeté le paquet dans une poubelle. Dans le wagon, près de moi, un voyageur a déplié « France-Soir » qui titrait ce jour-là : « les barbudos de Fidel Castro sont entrés dans La Havane. »

Bien des années plus tard, en apprenant que j’étais nommé correspondant permanent de « l’Humanité » à Cuba et en Amérique latine, je me suis rappelé Paul Eluard qui écrivait : «  Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »

 

José Fort

 

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