J’ai rencontré au mois de septembre dernier à Berlin le Dr. Hermann Drumm. Il m’a raconté son enfance en France pendant la Seconde guerre mondiale. Voici son émouvant témoignage. José Fort
Octobre 1938. Marthe, jeune socialiste allemande, quitte l’Espagne. Le 1er septembre 1937, son mari, Allemand et socialiste lui aussi, volontaire dans la 11ème Brigade Internationale est mort au combat contre les troupes franquistes soutenues par Hitler et Mussolini. Trois mois après le décès de son mari, elle avait mis au monde en Espagne un fils, Hermann, le prénom de son compagnon.
Marthe et son enfant sont accueillis à Paris dans la famille Tanguy qu’elle avait connue avant son départ en Espagne, en février 1937. La maitresse de maison soignait avec attention Marthe qui avait survécu à une épidémie de diphtérie en Espagne. Quant à son bébé, il était gravement sous-alimenté.
1940. Après la défaite de l’armée française, Marthe et son enfant quittent Paris pour Montluçon. Ils se réfugient chez une sœur de Madame Tanguy et retrouvent des réfugiés sarrois. Parmi eux, Joseph, un communiste bavarois, membre du Parti communiste français, chargé d’organiser les liaisons entre les communistes et les socialistes allemands installés dans la région. Objectif : organiser un front national contre les nazis et les occupants.
Joseph, Marthe et « Armand », comme se prénomme désormais le petit Hermann, s´installent à Montluçon sous l’identité de Hilt. Joseph travaille chez Dunlop, Marthe fait des ménages chez des familles aisées. Hermann entre à l´école maternelle. Joseph, connu pour ses « mains en or » consacre son temps libre à réparer des chaussures, des radios, des casseroles, des meubles. Dans le quartier, on l’aime bien cet antifasciste allemand plein d’humour. L’intervention des armées de l´Allemagne fasciste en France puis, plus tard, après l´occupation en 1942 de la « zone libre » sous Pétain ne change pas l’attitude du voisinage. Or, Joseph est recherché par la police française. Il s’est échappé du camp français d´internement à Huriel en 1940 afin de ne pas être livré aux fascistes allemands. Les Français qui le connaissent bien le protègent. Dès 1942, Joseph rejoint la résistance régionale.
Le 13 avril 1943 à 6 heures, trois membres de la Gestapo se présentent au domicile de la famille Hilt pour arrêter Joseph. La famille vit dans une petite chambre mansardée située au 13 de la rue de la République (aujourd´hui «avenue) à Montluçon. Le premier agent se poste à l’entrée de l´arrière-cour, le deuxième dans l´escalier en dehors de la maison tandis que le troisième fonce vers la chambre et crie en allemand : « Öffnen sie sofort die Tür. Gestapo ! » (Ouvrez tout de suite la porte. Gestapo!). Joseph se tient près de la fenêtre. Marthe répond en français: « Attendez un moment. Je me lève. Je dois m´habiller. » Devant la porte, le flic enrage et tente de forcer la porte. Sans succès. Il appelle son collègue à la rescousse. Joseph ouvre la fenêtre et se lance sur le toit. L’agent de la Gestapo resté dans l´arrière-cour tire plusieurs balles en direction du fugitif sans le blesser. Au même moment, Marthe ouvre la porte. Les flics s’aperçoivent que Joseph a fui par la fenêtre. « Nous l´attraperons, vous pouvez en être certaine! », crient-ils. Les gestapistes quittent la chambre, fouillent les chambres à l´étage, puis s’engouffrent dans leur voiture à la recherche de Joseph.
Marthe n’hésite pas. Elle prend son fils de cinq ans et quitte la maison. Dans la cour, c’est l’effervescence. Les gens ont été réveillés par les coups de feu. On entend : «C’est la Gestapo, Joseph a pu s´enfuir ».Plusieurs voisines se proposent d’accueillir Marthe et son fils pour les cacher chez elles, d’autres s’excusent de ne pas pouvoir. Il faut vite quitter les lieux car la Gestapo va revenir.
Rue de la République, une femme prend l’enfant dans ses bras et Marthe par la main. Plus loin, elle s’engouffre dans sa maison, monte au premier étage, entre dans une chambre volets fermés et cache Marthe et l’enfant sous le lit. Puis, elle redescend et se plante devant l´entrée de la maison. Marthe ne tenant plus observe la rue au travers des lamelles des volets. Elle est très inquiète. Va-t-on retrouver Joseph. Quand ? Comment ?
Et voici qu’une fille et un garçon d´environ dix ans à bicyclettes semblent chercher quelque chose. Ils ne sont pas du quartier. Les femmes de la rue les chassent. Marthe les connait. Elle comprend que Joseph a trouvé refuge dans la famille de ces jeunes cyclistes habitant le Camp Kissel, proche de l´aciérie.
Marthe décide d´y aller. Une bonne décision. Marthe et Armand y retrouvent Joseph avec une grande joie et un immense soulagement. Protégés par des Français et des Polonais, une vie nouvelle commence, plus dure, plus risquée : la vie clandestine.
Dr.Hermann Drumm