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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 17:57

 

Publié dans l'Humanité Cactus

Ils sont forts ces Etats-uniens. Prudemment, ils ont laissé  Sarkozy et Cameron mener leur guerre en Libye et se marrent encore des gesticulations tripolitano-médiatiques des deux fanfarons. Pendant que le  Britannique et  le Français – surtout le dernier - s’agitaient devant les caméras au milieu de petits drapeaux tricolores plastifiés livrés la veille par avion spécial, les stratèges de Washington  s’attaquaient à plus sérieux avec la préparation de l’installation d’un de leurs hommes au poste de Premier ministre de la Libye : Abdurrahim el-Keib.

O n le dit jovial, bon vivant, Abdurrahim el-Keib. Il a quitté la Libye en 1976 pour étudier à l’université de Caroline du Nord avant d’enseigner à l’université d’Alabama. Un bon client  pour les services. Le temps de le former et pas  seulement en matière d’installations pétrolières  le voici propulsé à un poste de direction de l’Institut de l’or noir à Abou Dhabi. Les responsables locaux de Shell et Total gardent  un excellent souvenir de ce personnage disposant de la double nationalité, nord-américaine et libyenne.

A peine conforté dans ses nouvelles fonctions, Abdurramin el- Keib a fait  savoir à Paris, à Londres et à quelques autres capitales européennes, qu’il faudrait « partager » le gâteau pétrolier libyen. Grosse colère du côté de l’Elysée. Bercy a rapidement dressé la note de l’opération guerrière et le Quai d’Orsay  l’a envoyée  illico presto à Tripoli sans passer, cette fois, par Bernard-Henri Lévy.

Conclusion : Washington rafle la mise. C’est connu. Lors d’un partage de butin, c’est toujours le chef qui s’octroie la plus grosse part.

José Fort

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 10:48

 

 

Un article publié dans "Vie Nouvelle"

 

Mise sous tutelle, ultimatum,  austérité, c’est ainsi que depuis des mois se résume la construction européenne.

 

Au nom de la lutte contre les dettes et pour des finances « équilibrées », tout semble permis : le mépris, le chantage, les menaces. Merkel et Sarkozy, véritables « patrons » de l’Europe, selon la presse d’Outre Rhin, se distinguent par leur arrogance comme en témoignent les triste épisodes concernant la Grèce, les précités allant même jusqu’à écrire le texte de la question référendaire, processus annulé depuis par Athènes.

Il y a la forme : une attitude scandaleusement impériale vis-à-vis des pays en difficulté. Il y a surtout le fond avec des directives de politique d’austérité se traduisant par la paupérisation des populations sans toucher aux fortunes amassées sur le dos des peuples. On impose aux Grecs la baisse de 50% de leurs retraites sans aucune ponction sur les 200 milliards d’euros des magnats helléniques entreposés dans les banques suisses et autres paradis fiscaux, sans remettre en cause les contrats d’achats d’armement passés avec la France et l’Allemagne.  La BNP Paribas affiche une baisse de ses profits « par la faute de la Grèce » en regrettant un bénéfice « limité » de plus de 500 millions d’euros entraînant un gigantesque plan de licenciements. La Banque centrale européenne qui devrait financer les Etats membres continue à prêter aux banques privées au taux de 1% alors que celles-ci prêtent à leur tour aux Etats européens à 8% empochant au passage des profits énormes. C’est de cette Europe là dont nous ne voulons pas.

A écouter les commentaires sur les radios et les télés, à lire la presse bien pensante, l’austérité serait « obligatoire » en ces temps de crise et d’endettement. On ne pourrait pas faire «autrement » et penser différemment relèverait de «l’irresponsabilité». Ce sont les mêmes qui en 2005 -  propagandistes du « OUI »  et grands démocrates devant l’éternel - n’avaient pas accepté le verdict des urnes et la victoire du « non ». Il ne faut pas laisser les fossoyeurs  – politiques, relais patronaux et médiatiques – à l’œuvre. L’Europe mérite mieux que cela.

J.F.

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 10:37

Un article publié  dans "Vie Nouvelle"

 

Il ne fait pas bon d’être syndicaliste dans de nombreux pays. Il y a ces militants qu’on assassine ou qu’on emprisonne, ceux qu’on pourchasse, qu’on marginalise et licencie. Le dernier rapport mondial publié par la Confédération syndicale internationale (CSI) lors de la 100 ème conférence de l’Organisation internationale du travail (OIT) montre l’ampleur de la répression visant les droits syndicaux et les libertés.

 

 

L’affaire n’est pas assez juteuse et people pour faire la « une » des médias. Et pourtant. Le rapport annuel de la Confédération syndicale mondiale (CSI) couvrant l’année 2010 dresse un bilan de la répression particulièrement lourd dans 143 pays: 90 assassinats de syndicalistes (49 en Colombie), des milliers d’arrestations et de licenciements pour activités syndicales. Le rapport met l’accent également sur les tendances mondiales de non-respect des législations du travail par les gouvernements, le manque de soutien au financement de l’inspection et de la protection, l’exploitation de la main-d’œuvre principalement féminine dans les zones franches.

Europe : au nom de l’austérité

Il y a peu encore, l’Europe était présentée comme un « modèle » à suivre en matière sociale. Patatras. Au nom de la lutte contre les déficits liés à la crise économique, baisses de salaires, réformes injustes des retraites ou encore réductions budgétaires s’accompagnent de violations des droits syndicaux et augmentation du travail précaire dans la plupart des pays membres de la l’Union européenne. Au tableau du déshonneur du continent, l’Ukraine et la Russie avec une limitation drastique des droits des salariés, la Géorgie occupant la position de brebis galeuse  en matière des droits des travailleurs, un pays célébré cet été lors d’un voyage officiel de Nicolas Sarkozy.  La Turquie reste dans le peloton de tête des pays violant les droits syndicaux : rien qu’en 201O, 350 syndicalistes ont été licenciés en raison de leurs activités. Epinglés aussi dans le rapport de la CSI, la Belarus, la Serbie, la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine, l’Estonie, la Lituanie et l’Albanie.

Amériques : impunité et terreur

Le continent américain est réputé pour la dangerosité en ce qui concerne l’exercice des droits syndicaux. Les assassinats y sont légion principalement en Colombie, au Guatemala, au Panama, au Brésil et au Honduras. On note également des enlèvements, des  menaces de mort, des violations de domicile.

La crise a eu, en Amérique latine aussi, de profondes répercussions sur l’économie. Le rapport de la CSI dénonce l’attitude de nombreux gouvernements qui utilisent le prétexte de la crise pour saper les droits syndicaux.  Aux Etats-Unis et au Canada, on relève la multiplication des campagnes d’intimidation, le refus des  négociations collectives et le recours aux briseurs de grève.

Afrique, Asie-Pacifique, monde arabe : dur, dur d’être syndicaliste

Dans les trois cas, le rapport de la CSI relève de graves atteintes  contre les syndicalistes. En Afrique, le Swaziland, le Zimbabwe, le Soudan arrivent largement en tête en matière d’assassinats et d’enlèvements. Il est noté également la répression en Afrique du sud, le refus de tout dialogue social au Nigéria, au Ghana, la formation de syndicats « jaunes »  au Burundi et en Ethiopie.

En Asie-Pacifique, l’année 2010 a été particulièrement cruelle au Bangladesh. Mais en Inde comme en Chine, aux Philippines comme au Pakistan la violence s’est abattue sur les travailleurs réclamant des droits et la liberté de parole. Quant à la Corée du Nord et la Birmanie, ces deux pays ont réglé à leur manière le problème en interdisant toute activité syndicale indépendante.

Dans le monde arabe, la situation sociale était très sombre avant le déclenchement des soulèvements contre les régimes de Ben Ali et de Moubarak. Depuis, les changements tant espérés se font attendre. En Syrie, en Libye, au Bahreïn, en Irak, l’activité syndicale reste une inconnue. Quant aux pays du Golfe, ils se distinguent par une surexploitation esclavagiste des travailleurs migrants privés de protection juridique et particulièrement exposés aux agressions physiques et aux abus sexuels.

Selon le rapport de la CSI, 2010 a été une année « dure » pour le mouvement syndical. Nous dirions sauvage et répressive. Selon les informations qui nous parviennent des quatre coins du monde, 2011 ne sera pas mieux. Plutôt pire.

José Fort

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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 15:59

 

Célébrations en Espagne du 75eme anniversaire de la création des Brigades Internationales.

 

 

Il y a soixante quinze ans, 30.000 volontaires venus du monde entier (9000 Français) rejoignaient l’Espagne pour défendre la République agressée par un putsch militaire dirigé par le général Franco puissamment aidé par Hitler, Mussolini et Salazar. L’épopée des Brigades Internationales demeure un moment essentiel de la solidarité internationale contre le fascisme, pour la liberté et la démocratie. Près de deux cents personnes venues de nombreux pays  (Etats-Unis, Allemagne, Grande Bretagne, Italie, Suède, Danemark… et 50 Français (avec deux anciens Brigadistes) vont participer à cet événement. Voici le programme.

  

Samedi 22/10/2011.

 

MADRID

 

12h00. Cité Universitaire, avenue de la complutense, près de la station de métro « Ciudad Universitaria : inauguration du monument aux Brigades Internationales.

 

14h00. Repas à l’hôtel Tryp  ATOCHA

 

16h30.  Cimetière de  la Almudena : hommage à Pasionaria, discours et dépôt de gerbe.

 

19h00. Soirée festive à l’auditorium «  Marcelino Camacho « des Commissions Ouvrières, rue Lope de Vega.

 

21h00. Installation des participants à l’hôtel Novotel «  Puente de la Paz ».

 

 

Dimanche 23/10/2011.

 

MADRID

 

09h30 : Cérémonie au cimetière de Fuencarral, avenue Montecamelo.

Inauguration d’une plaque en hommage aux volontaires Chypriotes.

Discours et dépôt de gerbes aux monuments aux volontaires des Brigades Internationales, aux républicains espagnols, aux volontaires Soviétiques.

 

12h00 : Visite  du champ de bataille du Jarama.

 

14h00 : Repas à Rivas Vacia Madrid

 

16h00 : Rencontre-débat  avec des associations en charge de la mémoire historique.

 

18h30 : Départ vers Albacete

 

Lundi 24

 

Albacete

 

9h30.  Départ pour une visite des cantonnements des Brigades Internationales autour d’Albacete.

 

Après midi : cérémonie anniversaire organisé par l’Université et les autorités locales

 

Soirée festive

 

 

Mardi 25. Retour sur Madrid puis sur Paris

 

Alors qu’une partie des participants retournera à Paris via Madrid, le groupe continuera vers Cambrils où il sera hébergé. Diverses visites et rencontres sont prévues dont celle du site de la bataille de l’Ebre qui fut la plus importante de la guerre d’Espagne.

Ensuite, ils rejoindront Barcelone où se déroulera le congrès d’Histoire Internationale. Le samedi matin 29 octobre, un hommage officiel sera rendu aux Brigades Internationales au monument édifié en leur mémoire à Barcelone. En accord avec la mairie de Barcelone cette célébration deviendra officielle et aura lieu chaque année.

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4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 08:47

 

 

Un article publié dans « Vie Nouvelle »

 

L’exaspération est à son comble. La politique de Bruxelles inféodée aux marchés provoque une réaction populaire dans de nombreux pays du continent. Les gouvernements toutes tendances confondues veulent imposer la « règle d’or », la règle de la finance. 

 

Rien ne va plus. La crise que les dirigeants européens affirment vouloir  juguler en offrant toujours plus de facilités aux nantis, en pressurant pauvres et couches moyennes, en s’attaquant aux services publics et aux acquis sociaux provoquent sur l’ensemble du continent des mouvements de protestation. Le sentiment de ras-le-bol gagne la plupart des pays, la colère s’exprimant de plus en plus dans les rues.

Quelques exemples. En Grèce, les politiques économiques menées à tour de rôle depuis trente ans par la droite et les socialistes ont été marquées par le mensonge d’État et la corruption. Les privatisations s’abattent sur la plupart des secteurs de l’économie alors que salaires et retraites sont amputés de 30 %, l’alimentation et les médicaments ayant augmenté environ de 40 %. Les grandes manifestations du printemps dernier vont se prolonger au cours des prochains mois par des démonstrations chaque fois plus importantes pouvant déboucher sur des violences. L’exaspération est à son comble.

Après le Portugal, en Espagne, à peine le mouvement des indignés suspendu et la période des congés terminée, les deux grands syndicats (COO et UGT) ont mobilisé des centaines de milliers de salariés et de retraités contre l’adoption par le Parlement de la « règle d’or » visant  à graver dans le marbre le prétendu « équilibre budgétaire » officialisant en fait une politique constante d’austérité pour les travailleurs. Une « règle » que Nicolas Sarkozy voudrait imposer à la France. Pas seulement lui.

En Italie, la CGIL, pour les mêmes raisons qu’en Espagne, vient d’organiser une grève nationale de huit heures. Au même moment, dans une conversation privée, Silvio Berlusconi, toujours aussi délicat, déclarait : « Dans quelques mois, je quitte ce pays de merde qui me donne envie de vomir. » Son ami Britannique, le très conservateur Cameron, a dû vite fait interrompre ses vacances lorsque des émeutes ont explosé dans son pays. Trop rapidement pour être honnête, il a mis ces violences sur le compte de « gangs et de voyous » alors que pour l’essentiel ces actes s’alimentent d’une politique d’étranglement des couches les moins favorisées, les jeunes en premier lieu. Colères et protestations, sous des formes diverses, surgissent aussi dans les pays du nord comme en Finlande ou en Suède, et même dans l’est de l’Europe comme en Pologne ou en Slovaquie. La pilule de l’austérité  et les injustices ne passent pas.

Les gouvernants européens persistant dans la génuflexion devant les marchés financiers, il ne reste au mouvement social que la force de la protestation et de la proposition.   

Tout porte à penser que l’automne sera chaud. Pour combattre les projets néfastes aux intérêts des salariés et des retraités, mais aussi pour formuler les propositions afin de sortir par le haut de la crise : le rôle de la banque centrale européenne, le contrôle des banques, la puissance bien utilisée de la monnaie, la démocratisation des institutions européennes et une orientation visant la défense des intérêts des travailleurs. L’Europe doit choisir : se placer aveuglement au service des marchés ou se ranger du côté de ceux qui créent les richesses par leur sueur, leur intelligence et leur courage. Pour le moment, les marchés tiennent la corde européenne. Pour combien de temps ?

José Fort

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3 octobre 2011 1 03 /10 /octobre /2011 18:47

 11:02



 

Brigades Internationales : « Levés avant le jour »

 

Un article publié dans « Vie Nouvelle ».

 

Il y a 75 ans, 30.000 volontaires du monde entier (9000 Français) partaient défendre la République espagnole contre le putsch fomenté par Franco avec la complicité d’Hitler, de Mussolini et l’indifférence de Paris et de Londres. A la fin de ce mois d’octobre 2011, à Madrid, Albacete et Barcelone, les survivants de cette épopée vont commémorer cet anniversaire en compagnie de leurs enfants, petits enfants et leurs amis. (1)

 

 

« Nous nous sommes levés avant le jour », aimait répéter le Colonel Henri Rol-Tanguy lorsque nous l’interrogions sur le rôle des Brigades Internationales (BI) parties défendre la République espagnole. « Nous avions compris », ajoutait-il, « que partant défendre Madrid, nous défendions Paris et l’Europe de la menace nazi ». Les 9000 Français membres des BI  (près de 3000 sont morts sur la terre espagnole) avec près de 30.000 volontaires  venus de toute l’Europe, des Amériques et d’Asie n’ont pas seulement fait acte de courage et de solidarité. Ils ont fait preuve de lucidité alors que les puissances occidentales prônaient la « non intervention » tandis que Hitler, Mussolini et Salazar armaient les putschistes menés par Franco.

En février 1936, le « Frente Popular » remportait les élections avec 52% des suffrages. A l’époque, l’Espagne c’était 24 millions d’habitants dont 12 millions d’illettrés, 8 millions de pauvres, 2 millions de paysans sans terre, 5000 couvents, 110.000 prêtres, moines ou religieux, 800 généraux, une police sauvage.  Au lendemain de la victoire électorale, le nouveau pouvoir républicain libérait les mineurs asturiens victimes de la répression de 1934 (5000 morts, 3000 blessés, 4.500 emprisonnés), augmentait les salaires, légalisait les occupations de terres non cultivées. La grande bourgeoisie et  l’armée décidait alors, après avoir obtenu le feu vert de Berlin, de mettre un terme à cette « révolution ». Le 18 juillet 1936, le signal était donné depuis le Maroc par Franco: « Dans toute l’Espagne, le ciel est sans nuages ». La majorité des officiers se ralliait au putsch.

 

A Londres, la City souhaitait une défaite de la République pour préserver ses placements dans les mines espagnoles qui fournissaient cuivre, tungstène et mercure et éliminer le jeune pouvoir « bolchévik » installé à Madrid. A Paris, la droite hurlant « plutôt Hitler que le Front populaire » s’enthousiasmait de l’aide massive  en avions, mercenaires, blindés, armements lourds allemands et italiens à Franco alors que le gouvernement de Léon Blum se refusait à honorer les livraisons à la République espagnole d’armes pourtant déjà payées. La politique de « non intervention » des dites « démocraties » occidentales ouvrait les portes à une intervention directe des nazis et des mussoliniens dans les affaires intérieures de l’Espagne.

 

Les Brigades internationales ont surgi comme la réplique des démocrates du monde entier face à l’invasion fasciste.  Le plus grand nombre passait par Paris. Après une visite médicale et un entretien d’incorporation venait le temps de prendre les différents chemins de la lutte : par le train à bord du célèbre Paris-Perpignan de 22h17, par camions vers Marseille ou directement mais par des routes discrètes vers la frontière espagnole. Au même moment, André Malraux  achetait des avions et recrutait des pilotes pour former l’escadrille « España ». Malgré la « non intervention » des avions et des armes passaient de France en Espagne avec la complicité de quelques ministres (Pierre Cot avec Jean Moulin et Gaston Cusin). La Compagnie maritime France-Navigation créée par des militants communistes français avec à leur tête Georges Gosnat organisait des navettes entre l’URSS et l’Espagne. A bord, de l’armement lourd.

 

Les « volontaires de la liberté »  étaient rapidement envoyés au front pour défendre Madrid. Quelques semaines avant l’entrée dans les combats des brigadistes, le ministre espagnol Martinez Barrio avait reçu André Marty et une délégation venue discuter des conditions d’envoi des volontaires étrangers. Il avait posé la question suivante : « Dans quelle condition voulez-vous participer à notre lutte » ? « Nous ne posons aucune condition », avait répliqué Marty.  « Nous ne désirons qu’une chose: que les Brigades internationales soient considérées comme des unités uniquement subordonnées au gouvernement et à ses autorités militaires ; qu’elles soient utilisées comme troupe de choc en tous lieux où ce sera nécessaire ». Les brigadistes seront envoyés sur les points les plus chauds. Ils auront un comportement héroïque face aux putschistes et à leurs complices allemands et italiens.

La Brigade internationale des Français sera la « XIV » dite « La Marseillaise » avec à sa tête Jules Dumont (fusillé par les nazis en 1943), Boris Guimpel, Jean Hemmen (fusillé en 1942), Putz (tué en Alsace fin 1944), Henri Tanguy qui ajoutera «Rol» (du nom d’un de ses copains tué en Espagne) et dirigera plus tard la libération de Paris. Les brigadistes seront de tous les combats jusqu’à la dernière grande bataille, la plus sanglante de toutes, la Bataille de l’Ebre. Et c’est en pleine bataille de l’Ebre que les Brigades internationales sont retirées par le Président espagnol Negrin qui pensait ainsi faciliter le départ les troupes allemandes et italiennes d’Espagne. Vaine illusion. Les jeux étaient faits. L’Angleterre et les Etats-Unis avaient déjà reconnu le régime franquiste dit de « Burgos ».

Le départ des Brigades internationales donna lieu à des adieux grandioses. Dolorès Ibarruri, « Pasionaria »  prononça ce jour là un discours émouvant : « Mères! Épouses! Quand passeront les années et que seront cicatrisées les blessures de la guerre, quand le souvenir des jours douloureux et sanglants sera estompé dans un présent de liberté, de paix et de bien-être, quand les rancœurs iront s’atténuant et que l’orgueil de la patrie libre sera également ressenti par tous les Espagnols, parlez à vos enfant, parlez-leur de ces hommes des Brigades internationales. »

Les Brigades Internationales dissoutes, beaucoup d’hommes n’ont pas pu rentrer dans leur pays. Nombreux ont trouvé refuge en France et ont été rejoints par 500.000 exilés espagnols fuyant Franco et les persécutions. Les autorités françaises de l’époque les ont parqués dans des camps comme ceux d’Argelès, le Vernet, Gurs, St Cyprien... D’autres se sont échappé, d’autres prendront le chemin des Amériques, d’autres encore rejoindront la Résistance à l’occupant nazi. De nombreux « Espagnols rouges » marqués du triangle bleu d’ « apatrides » seront envoyés dans le camp de concentration de Mauthausen.

Les anciens de la guerre d’Espagne ont formé l’ossature des premiers groupes armés de la Résistance. Ils continuaient en France le combat commencé en Espagne en se levant « avant le jour ».  Le 25 août 1944, les premiers blindés de la 2ème DB du général Leclerc portant les noms de « Madrid », « Teruel », « Brunete » entraient dans Paris. A bord, des républicains espagnols guidés dans les rues de la capitale par des résistants eux aussi espagnols et placés sous les ordres du chef de l’insurrection parisienne, le colonel Henri Rol-Tanguy.

 

José Fort

 

(1)  Les Amis des Combattants en Espagne Républicaine, 16 Villa Compoint, 7517 Paris et sur internet tapez ACER

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 10:34

 

L'inconnue de Santiago

Elle était d'une éclatante beauté et, malgré la tension, n'a jamais cessé de sourire. Quelques semaines après le coup d'État de Pinochet, nous avons marché ensemble sur l'avenue O'Higgins à Santiago " como enamorados " (comme des amoureux). Combien de temps m'a-t-elle accordé son bras avant de se diriger vers un véhicule en stationnement ? " Monte et bonne chance ", m'a-t-elle lancé avant de disparaître dans la foule. Je n'ai jamais su son nom. Je ne sais toujours pas si elle a survécu à la répression. Son visage hante certaines nuits sans sommeil.

L'expédition avait commencé quelques jours auparavant à Rome. Pendant des heures, dans une chambre d'hôtel, il fallait apprendre par cour les messages à transmettre aux dirigeants survivants de la direction du Parti communiste chilien. Des noms, des consignes, des mises en garde pour un premier contact après plusieurs semaines de silence. " Vous allez faire un grand voyage ", s'était exclamée une hôtesse à Orly en me remettant un billet à rallonge : Rio, Buenos Aires, Santiago, Buenos Aires, Caracas, New York, Paris. Je devais faire fils à papa en goguette, soigner mon hébergement, choisir les véhicules les plus luxueux, bref donner l'impression d'un jeune homme riche à la recherche de frissons. Dans l'avion de la KLM qui reliait Buenos Aires à Santiago nous étions une dizaine de passagers, la plupart des diplomates ou des représentants d'organisations internationales. Le temps ne se prêtait pas au tourisme.

Santiago croulait sous la chaleur de l'été austral. Tous mes compagnons de voyage avaient été pris en charge. Je restais seul un moment dans l'aéroport militarisé cherchant le meilleur moyen - et le plus coûteux - de rejoindre la capitale provoquant l'intérêt des policiers chargés de filtrer les arrivées. Ils n'avaient là qu'un seul cas à traiter. Une Lincoln noire, une chambre au Sheraton vidée de ses clients, un dîner aux chandelles solitaire, le riche Français observé par des employés désouvrés et les militaires en faction mitraillette au poing dans le hall et à chaque étage s'ennuyaientt ferme. Certains regards n'exprimaient-ils pas de la haine ?

Trois jours à se balader dans une ville tragiquement silencieuse mais en suivant le conseil délivré à Rome : " Respecte les heures de sieste, le contact sera pris à ce moment de la journée ", m'avait-t-on dit. En effet, le troisième jour, on glissa sous la porte de la chambre un papier : " À 17 h 30, sur l'avenue O'Higgins, à la hauteur... " J'y étais à l'heure dite regardant les vitrines, achetant des cigarettes, lorsqu'elle m'a pris par le bras pour une promenade... d'amoureux.

La voiture, un chauffeur muet, une maison dans le quartier chic de Santiago, une pièce où se trouvaient cinq responsables communistes. Il ne fallait pas s'attarder, répéter ce que l'on m'avait dit à Rome, remettre l'argent de la solidarité, écouter attentivement les réponses aux questions que l'on m'avait chargé de poser. Vingt minutes, embrassades comprises, puis Mario m'a dit : " Nous ne nous reverrons plus, tu peux désormais agir au grand jour. " Je ne reverrais plus jamais Mario et ses camarades. Tous ont été assassinés par la dictature.

Le lendemain, deux compagnons m'avaient rejoint : un député socialiste italien et le neveu du président de la République finlandaise de l'époque. Ils ne savaient rien de mes activités précédentes. Nous avions une seule mission : faire le tour des ambassades où s'étaient réfugiés des centaines de démocrates chiliens, dresser des listes, recueillir le maximum d'informations. Les chancelleries française, hollandaise, mexicaine, d'autres aussi, avaient ouvert leurs portes aux persécutés. L'ambassadeur de France de l'époque et sa femme avaient transformé les locaux diplomatiques en un vaste dortoir. Leur comportement faisait honneur à notre pays alors que d'autres Français aux antécédents OAS ou liés aux services spéciaux prêtaient leur savoir-faire, avec des " spécialistes " venus des États-Unis, aux tortionnaires. Dans les sous-sols des ambassades, des membres du gouvernement de Salvador Allende côtoyaient des anonymes dans l'attente d'un possible sauf-conduit. Seuls les enfants arrivaient à rompre la détresse silencieuse. Deux jours après, l'ambassadeur du Mexique nous prévenait : " Vous êtes repérés, attention à vous. " Au retour à notre hôtel, chacun a reçu un appel téléphonique : " Un avion décolle dans trois heures pour Buenos Aires. Un conseil prenez-le. Après, nous ne pourrons plus assurer votre sécurité. "

José Fort

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 09:45

 

Chaque 11 septembre, je pense à la mission effectuée à Santiago quelques semaines après le coup d'Etat contre la démocratie chilienne organisée par les Etats-Unis. Des milliers de morts, de disparus. Des exilés. Une dictature féroce.Voici un article "souvenir" publié il y a quelques années dans "l'Humanité".

 

« Un avion décolle dans trois heures. Prenez-le »

 

« Un avion décolle dans trois heures pour Buenos Aires. Un conseil, prenez-le, votre sécurité en dépend. » Je venais à peine de rentrer dans ma chambre d’hôtel à Santiago. Au téléphone, un interlocuteur inconnu (un militaire, un ami ?) m’invitait à quitter rapidement le pays. Il fallait faire vite, sauter dans un taxi et prendre rapidement la route de l’aéroport en observant les consignes reçues quelques jours plus tôt. Peu m’importait ce départ précipité, même s’il provoquait une forte montée d’adrénaline, une trouille difficilement contenue. La mission que l’on m’avait confiée quelques semaines après le coup d’État de Pinochet en plein cœur de la capitale chilienne avait été remplie : rencontre avec les rescapés de la chasse aux démocrates, transmission d’informations mémorisées à Paris, à Rome et à Buenos Aires avec en retour l’enregistrement d’indications précises, remise d’une forte somme d’argent, fruit de la solidarité. Je sais aujourd’hui que la plupart des personnes rencontrées ce soir-là ont disparu. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés.

Le jeune homme installé au Sheraton, roulant en Lincoln noire avec chauffeur et menant grand train de vie ne présentait pas le profil d’un révolutionnaire échevelé. Dans le restaurant de l’hôtel vide, les regards des personnels chargés de servir l’unique client entouré de chandelles exprimaient plus le mépris que l’envie.

La première partie de la mission achevée et les contacts rompus, la seconde ne pouvait échapper aux flics de Pinochet. Visites aux familles réprimées et à leurs courageux avocats, rencontres avec les candidats à l’exil réfugiés dans les représentations diplomatiques. « Vous êtes repéré », m’avait averti l’ambassadeur du Mexique qui dû, lui aussi, quelques jours plus tard, faire ses valises.

Il régnait un étrange silence à Santiago. Cette ville vivante, bruyante, joyeuse était plongée dans la peur. Dès le soir tombé, malgré la chaleur du début de l’été, les rues étaient désertes. Les patrouilles de l’armée quadrillaient la capitale. L’accès au palais présidentiel, la Moneda ravagé par les flammes le 11 septembre 1973, était interdit, les cadavres ne dérivaient plus sur le fleuve Mapucho, le stade qui avait servi de centre de torture avait été nettoyé. Les prisons étaient pleines, on torturait dans les casernes et dans des villas réquisitionnées par la police secrète, on incitait à la délation dans les familles, les dirigeants démocrates-chrétiens, si violents contre Salvador Allende, se terraient sans exprimer la moindre protestation, tandis qu’une poignée de militants communistes, socialistes et du MIR tentaient de reconstruire une structure de résistance. Seuls quelques ecclésiastiques osaient affronter publiquement la junte en protégeant des prisonniers et en venant en aide aux familles. En province, loin de tout, l’armée torturait et fusillait à tour de bras.

Il y avait au cours de ces heures tragiques des moments de fierté. Celui, par exemple, d’assister à l’accueil dans les locaux de la représentation diplomatique française des Chiliens de toutes tendances politiques promis à la mort. Ou encore de voir la femme de l’ambassadeur de France participer à l’installation de matelas et à la distribution de nourriture. Qu’il fait bon à ce moment-là de revendiquer sa nationalité.

Il était 18 heures. À l’aéroport de Santiago, le vol pour Buenos Aires venait d’être annoncé. J’achetais des cerises. Dans le paquet, je ne sais qui avait glissé un petit morceau de papier sur lequel était écrit : « Bon voyage et fais attention à toi. »

 

José Fort

 

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5 septembre 2011 1 05 /09 /septembre /2011 09:33

Un article publié dans l'Humanité Dimanche du 1 au 7 septembre 

Sur la route d’Aléria à Bastia

 

Corse : ce mécano aime produire propre et bon

Frédéric Muzzin a repris le chemin de l’école puis celui des vergers de son beau-père. Avec à la clé, une nouvelle forme de vie, une production de pomelos, de prunes et de kiwis au top. Les centrales d’achat ne payent pas au juste prix cette production qui prend le chemin de l’Italie. Rencontre avec un homme passionné par son travail, fier de ses fruits et qui aimerait bien la reconnaissance de ceux qui travaillent propre et bon.

Texte

Frédéric Muzzin, Corse d’adoption, est un passionné. Cet ancien mécanicien de Vallauris aujourd’hui arboriculteur produit des pomelos, des kiwis et des prunes. Pour le rencontrer en venant du sud de l’île, il faut passer Aléria. Une fois à Bravone, il suffit de prendre la direction de Linguizzetta.

Frédéric parcourt du regard ses arbres, caresse les feuilles, vérifie l’arrosage automatique et, solennel, déclare : « tout va bien depuis 6h ce matin ». Nous sommes ici dans la Costa Serena entre mer et montagne à mi-chemin entre Bastia et Porto-Vecchio.

Frédéric affiche une petite quarantaine. Sa femme Christelle, conseillère municipale travaille dans une école. C’est grâce à elle, où plutôt grâce à sa famille, que son mari a quitté la mécanique continentale pour les arbres fruitiers de l’île de beauté. Les parents de Christelle, des pieds noirs installés en Corse au début des années 1960, ont travaillé dur pour produire notamment des abricots. Sublimes, j’en témoigne.

Le père de Christelle, 71 ans, toujours actif, a joué un rôle déterminant dans l’évolution de son gendre. En retour, celui-ci lui voue une admiration sans borne. Le beau-père a donné 15 hectares à travailler à Frédéric qui a repris le chemin de l’école en 2004 au lycée agricole de Borgo. Beau-papa lui a surtout transmis et transmet toujours son expérience et la recherche du travail bien ficelé. Pari réussi pour le beau père. Frédéric s’approche du top.

Pourquoi Frédéric a-t-il changé ? L’amour pour Christelle et ses deux magnifiques enfants n’explique pas tout : Fred apprécie « le changement de vie, la proximité de la nature, le fait d’être maître chez soi, l’accompagnement de ma belle famille, la générosité et la solidarité de mes voisins. » Au petit jeu « qu’est-ce qui va, qu’est-ce qui va pas ? », Frédéric n’hésite pas un instant.

Ce qui va ? « La qualité de mes produits, la qualité de vie ». Ce qui ne va pas ? « Le circuit commercial, les intermédiaires, les centrales d’achat qui ne veulent pas apprécier la qualité de notre travail, les coûts des transports. »

Le travail ? Frédéric connaît. Levé à l’aube pour un premier tour dans les vergers. D’un coup d’œil, il cible l’arbre malade, l’arrosage mal adapté, la feuille attaquée par un nuisible, le fruit prêt à être cueilli, le nettoyage à effectuer. « On travaille sur du vivant », dit-il avant d’ajouter : « Le vivant a besoin d’amour. »

Au mois d’avril dernier, il a produit 110 tonnes de pomelos. Il regrette de ne pas pouvoir disposer d’une machine permettant le calibrage de ses fruits (un coût estimé à environ 150.000 euros). Fin juillet, il devrait ramasser 30 tonnes de prunes, en novembre 100 tonnes de kiwis, le tout livré  à un acheteur italien. « Ici, on me propose 30 centimes du kilo, les Italiens 60 », soupire-t-il. Et la banque ? « Pas simple d’obtenir un prêt, alors que la production est rentable. »

Frédéric pratique une « agriculture raisonnée ». Ni bio mais s’en approchant, ni conventionnelle, il veut faire du « propre » dans cette Corse qui pourrait être « l’un des vergers d’agrumes de la France. » « Je ne suis pas producteur de clémentines », dit-il. « Mais avez-vous goûté nos clémentines. Les producteurs espagnols et autres peuvent dire ce qu’ils veulent. Il suffit de déguster la clémentine corse pour faire la différence. C’est la Rolls Royce, loin devant les autres. »

Frédéric me tend un morceau de pomelo. Un délice. Jamais, au grand jamais, je n’ai tant apprécié ce fruit. « C’est le résultat de mon travail», assure-t-il, « vous ne le trouvez pas dans les grandes surfaces de l’île. Est-ce normal ?  Nos produits, je veux dire, mes produits et ceux de mes confrères frisent souvent l’excellence et nous sommes obligés de vendre ailleurs que chez nous. »

Nous avons vérifié dans deux grandes surfaces de l’Ile. On y trouve en ce moment des oranges d’Argentine, des pamplemousses d’Israël, des fruits d’Afrique du Sud. Les succulents pomelos ou les délicieux abricots de la plaine orientale corse sont absents des rayons. Alors ? Ne faut-il pas se fâcher ? Exiger ? Comprendre qu’il faut cesser de marginaliser, d’étrangler tous ceux qui en Corse travaillent, produisent et restent maintenus dans l’indifférence. Ils ne sont pas situés à proximité des grands hôtels, des plages à la mode. Ils travaillent tôt le matin jusqu’à tard le soir ne font pas la « une » de l’actualité insulaire. Ils sont pourtant la véritable richesse d’une île aux potentiels considérables. La plupart des agriculteurs et éleveurs corses produisent de la qualité. Les fruits bien entendu, mais aussi le veau, le bœuf, les légumes… Les forces et les intelligences existent. Elles ne sont pas suffisamment valorisées et accompagnées.

  

Frédéric fait partie de ces hommes passionnés par leur travail.  A bord de sa camionnette ancestrale, nous visitons les vergers. Arrêt ici pour vérifier quelques arbres, là pour dégager des branches arrachées par le vent. Ses yeux pétillent. Il sait faire partager sa fierté de produire propre et bon.

Le soleil tape dur et il est midi. Sur la terrasse de sa maison aménagée dans une dépendance de l’ancienne cave viticole, l’heure est à l’eau fraîche. Christelle, Frédéric et ses enfants posent pour la photographie. Avec la promesse de nous revoir à l’automne après la récolte des kiwis.

José Fort

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 08:15

Depuis ce vendredi matin, on écrit et parle beaucoup du la chute du mur de Berlin.

Voici une interview de Egon Krenz réalisée à Berlin en septembre 2009 et publiée dans L"humanité" de novembre de la même année. 

Le dernier président du Conseil d’Etat de la République démocratique allemande (RDA) évoque la chute du mur, le rôle de Gorbatchev, ses relations avec Kohl, ses propres erreurs, le socialisme. 

 

Egon Krenz vit avec sa famille près de Rostock. Notre rendez-vous a eu lieu à Berlin dans un endroit discret. Il doit prendre des précautions, n’étant pas à l’abri d’une provocation. La presse de droite allemande le salit, l’insulte. Or, il n’a jamais commis le moindre crime et a tout fait pour que les événements de 1989 puissent  se dérouler sans la moindre violence. Egon Krenz est un homme chaleureux, courageux, fidèle à ses engagements. L’autre jour à Berlin, il est descendu de sa voiture. En face, dans l’immeuble en construction, trois maçons l’ont reconnu. « Egon, droit toujours », lui ont-ils lancé. Ses yeux ont brillé un instant. Et nous avons parlé…    

JF. Vous avez été emprisonné pendant plusieurs années. Comment allez-vous ?

 

EK. J’ai la chance d’avoir une famille intacte et des amis fidèles. Les vrais, ceux qui gardent la tête haute. J’ai l’espoir que mes petits enfants réussiront ce nous avons tenté de construire. En 1989, ce n’est pas l’idée socialiste qui a été enterrée mais plutôt un certain modèle de socialisme. Je suis optimiste. Je ne crois pas que le capitalisme soit le dernier mot de l’histoire. Vous n’avez pas devant vous un personnage écroulé dans un petit coin d’Allemagne mais un homme  debout.

JF. D’autres se sont écroulés ?

EK. Oui, malheureusement. La dureté de notre défaite et le triomphe de l’anticommunisme ont eu des retombées redoutables. Certains se sont retirés. D’autres ont déserté.

JF. Qui par exemple ?

EK…….

(Il me regarde fixement. Son regard lumineux soudain s’assombrit. Il garde le silence)

JF. Des membres du Bureau politique du parti socialiste unifié  (SED), par exemple ?

EK. Notamment. Pour revenir à votre première question, ces années de prison ont été surtout dures pour ma famille car les attaques visaient mon honneur personnel. Je savais qu’on ne m’offrirait pas des fleurs. Pour une raison simple : dès son élaboration, la loi fondamentale de la RFA stipulait que les territoires allemands situés hors RFA devaient être récupérés, tous ceux  y exerçant une fonction responsable étant considérés comme des criminels, des malfaiteurs. Je savais cela depuis longtemps. J’étais prêt à subir la prison. Mais je refusais et refuse toujours les accusations qui ont été portées contre moi. L’histoire me libérera. Mon sort personnel importe peu. En revanche, le calvaire vécu par de nombreux citoyens de la RDA relève de l’inadmissible.  Je pense à tous ceux qui ont perdu leur travail alors qu’il n’y avait pas de chômage en RDA. Je pense aux intellectuels de la RDA décapités. Je pense à tous ceux qui ont été marginalisés. Un exemple parmi tant d’autres, celui de l’hôpital de la Charité à Berlin : la plupart des médecins, des spécialistes reconnus mondialement, ont été licenciés. La division de l’Allemagne n’était pas chose naturelle. Elle était contraire à notre histoire. Mais avez-vous remarqué que les dirigeants de la RFA ont tout mis en œuvre pour éviter la prison aux nazis. Moi, j’ai scrupuleusement respecté les lois de la RDA. Je n’ai commis aucun crime.

JF. Comment  avez-vous  vécu les derniers jours de la RDA ?

EK. Je ne suis pas de la génération de ceux qui venaient des camps de concentration, de la guerre, de la Résistance, de Moscou.  Au bureau politique du SED, j’étais le plus jeune. Je suis un enfant de la RDA. Tous les autres avaient survécu au nazisme. J’ai exercé de nombreuses fonctions : de représentant des élèves dans mon collège jusqu’à la présidence du Conseil d’Etat. Avec la disparition de la RDA, c’est une bonne partie de ma vie que j’ai enterrée.

JF. Aviez-vous passé des accords avec le chancelier Kohl ?

EK. Nous avions décidé d’ouvrir plusieurs points de passage. La date avait été fixée par mon gouvernement au 10 novembre 1989. Or, la veille, un membre du bureau politique, Schabowski, a annoncé publiquement non pas l’ouverture de passages mais la « destruction du mur ». Nous nous étions mis d’accord avec Kohl pour l’ouverture en « douceur » des frontières. Il ne s’agissait pas à ce moment là de la fin de la RDA, de la fin du pacte de Varsovie et de Berlin comme territoire au statut particulier. Il s’agissait d’ouvrir les frontières.

JF. Avez-vous pensé, un moment, faire utilisation de la force ?

EK. Je peux jurer que nous n’avons jamais envisagé une telle décision. Je savais qu’un seul mort aurait eu des conséquences tragiques. L’utilisation de la force, et nous en avions les moyens, aurait conduit à la catastrophe. Nous avons refusé de tirer sur le peuple.

JF. Dans un de vos ouvrages vous vous élevez contre la réécriture de l’histoire.

EK. Tant de choses ont été écrites… Il faut en revenir à l’essentiel : sans Hitler, le nazisme,  la Seconde guerre mondiale et la réforme monétaire de 1948, l’histoire de l’Allemagne aurait pu s’écrire autrement. Le malheur du peuple allemand, c’est le fascisme.

JF. Pensez-vous à vos propres responsabilités ?

(Il observe un instant de silence puis s’approche de la table. Visiblement, il est ému)

EK. J’y pense constamment.  Je pense au fossé entre la direction et la base, au déficit de confiance entre le parti et la population. Le manque de démocratie, de débat, la différence entre la réalité et la propagande. Les plus anciens refusaient le débat direct. Une terrible erreur. Il fallait combattre l’adversaire  sur le plan des idées. Il fallait accepter la confrontation idéologique. Nous ne l’avons pas fait. Nous rencontrions de gros problèmes économiques et faisions comme si tout allait bien. Pour les citoyens de la RDA, les acquis sociaux étaient chose normale. Il fallait dire la vérité, montrer les difficultés, parler franchement. Nous n’avons pas su ou pas voulu ouvrir la société.

JF. Vous n’évoquez pas l’environnement international, la guerre froide, le rôle de l’Union soviétique et de Gortbachev.

EK. J’y viens. Je l’avoue, j’ai été naïf. J’avais une grande confiance en Gorbatchev, une grande confiance dans la perestroïka comme tentative de renouvellement du socialisme. J’ai rencontré Gorbatchev le 1er novembre 1989 à Moscou. Quatre heures d’entretien. Je lui ai dit : « Que comptez vous faire de votre enfant » ? Il me regarde étonné et me répond : « Votre enfant ? Qu’entendez-vous par là »? J’ai poursuivi : « Que comptez-vous faire de la RDA ? » Il m’a dit : «Egon, l’unification n’est pas à l’ordre du jour ». Et il a ajouté : « Tu dois te méfier de Kohl ». Au même moment, Gorbatchev envoyait plusieurs émissaires à Bonn. Gorbatchev a joué un double jeu. Il nous a poignardés dans le dos.

JF. Egon Krenz, le Gorbatchev allemand, disait-on à l’époque.

EK. En 1989, je l’aurais  accepté comme un compliment car l’interprétant comme reconnaissant mon action visant à améliorer, à moderniser, à démocratiser le socialisme. Pas à l’abattre. Aujourd’hui, si certains me collaient cette étiquette j’aurais honte.

JF.  Vos relations avec Helmut Kohl ?

EK. Le premier entretien date des obsèques de Konstantin Thernenko  à Moscou. J’accompagnais Erich Honecker et Kohl avait demandé à nous rencontrer. Les Soviétiques étaient opposés  à cette rencontre et me l’ont fait savoir avec insistance. Erich Honecker s’est aligné. Mais comme le rendez-vous était déjà pris à notre résidence, Erich m’a dit en consultant sa montre : « Dis à Kohl que nous ne pouvons pas à l’heure indiquée. Tu prétexteras un entretien avec Gorbatchev à la même heure. Or, Erich Honecker n’avait pas mis sa montre à l’heure de Moscou. Nous avons vu arriver Kohl. Il s’est installé et nous a dit : « Enfin, une rencontre en famille ». Nous avons longuement parlé puis nous avons rédigé un court texte mettant  l’accent sur le respect des frontières. Mon dernier contact a eu lieu le 11 novembre 1989. Kohl m’a téléphoné, a évoqué l’ouverture pacifique des frontières et m’a remercié.

JF.  Vingt après la fin de la RDA, le socialisme selon vous est-il mort ?

EK. L’idée  socialiste, les valeurs socialistes vivent et vivront. Je reste persuadé que l’avenir sera le socialisme ou la barbarie. Le système ancien est définitivement mort. Je considère que j’ai failli. A d’autres de construire le socialisme moderne et démocratique. Un nouveau socialisme.

Entretien réalisé par José Fort

 

 

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